Vincent, quel a été ton parcours ?
Je suis né en 1965 et suis fils de polyculteurs éleveurs, qui vinifiaient alors de toutes petites surfaces pour la coopérative locale. A 15 ans, je me suis passionné pour les vaches puis pour le vin. Je décide d’étudier en BTA option vigne au lycée agricole de Rouffach. Ma passion ne faiblit pas et je continue avec un BTS au lycée viticole d’Avize. Je réalise mes stages en Ardèche puis à Perpignan, où je travaille sur la station viticole de Tresserre, un conservatoire et station expérimentale, d’où je ramène quelques plants de vigne en souvenirs.
Après mon service militaire, je décide de m’installer sur une exploitation sans reprendre la ferme des parents, qui me louent 1ha de vigne. De mon côté, je trouve 2ha, ce qui me permet de m’installer avec le « minimum vital ». J’entends la demande locale en greffons de vignes certifiés et utilise alors les 2 ha qui ne sont pas plantés. J’entre alors en relation avec les pépiniéristes de France, d’Europe et même du monde, la demande étant prégnante.
En 1989, je rencontre Dominique, ma femme, mécanicienne de formation, et ensemble, nous installons une pépinière de plants de vignes, c’est la naissance de la pépinière des Boarmies. A l’époque, 8% des greffons de cépages alsaciens provenaient de la ferme.
En 2003, suite à des problèmes de santé, nous décidons de revoir notre manière de travailler et diversifions notre activité pour être plus présent sur la ferme familiale. Nous nous lançons dans la production d’abricots avec des variétés qui nous sont propres, et dans le raisin de table de collection, en vente directe. C’est tout de suite la déferlante de la demande sur les abricots. nous n’arrivons pas à répondre à la demande depuis notre petite ferme au centre du village et nous nous installons alors sur un terrain de 3 ha d’un seul tenant en sortie de Dangolsheim, en 2008, et créons « le jardin de marmotte ». Pour satisfaire les clients et compléter les ventes, nous réalisons un peu de maraîchage biologique.
En 2012, pour faire suite à l’obtention du CAP en boulangerie d’un de nos fils, Jean-Baptiste, nous cultivons des blés de variétés anciennes – pour se démarquer dans notre milieu rural – et nous vendons les pains et viennoiseries au magasin de la ferme. Nous avons trouvé les blés anciens avec l’association « Kerna Un Sohma » et restons actifs depuis dans le mouvement de conservation plus large en préservant 15 variétés de blés anciens, en espérant le montage d’une filière en Alsace dans un avenir proche.
Quelle est l’articulation entre l’ensemble de vos activités ?
L’activité de base, c’est la production d’abricots. On fait notre chiffre d’affaire de l’année sur la saison quand la production est bonne, ce qui n’a pas été le cas des 4 dernières années. Depuis 2007, avec le lancement de notre site internet sur le conservatoire de collection des raisins de table, (http://www.boarmies.fr/), le bouche à oreilles a très bien fonctionné et le chiffre d’affaire est également réalisé avec cette activité. Dominique a réalisé entièrement le site après une formation au CFPPA d’Obernai en informatique, et l’a dédié au grand public, avec un langage non technique. L’activité de boulangerie à partir de nos blés anciens permet de dégager un salaire pour Jean-Baptiste, notre fils. Nous avons également un fils qui travaille comme apprenti sur la ferme et faisons appel à des stagiaires. Dominique reste au magasin, ouvert tous les matins au public, avec Jean-Baptiste alors que je suis en extérieur avec les apprentis et stagiaires.
Parle nous un peu de l’activité du conservatoire des raisins de table …
Il y a 600 variétés en collection… Un conseil personnalisé pour chaque lieu, en terme de date de fructification par exemple. Au démarrage, c’était beaucoup les particuliers qui venaient, pour eux, ou pour faire des cadeaux…
Puis, de fil en aiguille, ce sont les maraîchers biologiques, en permaculture ou les jardins associatifs qui ont commencé à m’appeler. Pour ces activités, j’ai créé des formations spécifiques : pour gérer les maladies et la quarantaine lors du transport et de la plantation, et ensuite la multiplication des plants localement, chez le maraîcher.
Autour de l’activité grand public, j’ai développé des cours de taille et une journée de visite de la collection. Pour l’activité professionnelle, une formation plus approfondie a été montée via le CFPPA d’Obernai. Un groupe de maraîchers biologiques du plateau lorrain s’intéresse aussi au raisin de table et cette année, pour eux et plus globalement pour les maraîchers de la région Grand Est, une formation est en cours de constitution avec Bio en Grand Est. La formation va durer 12 demi-journées réparties dans l’année aux étapes clés du développement de la vigne, et uniquement sur le terrain.
Et la biodiversité sur tes parcelles, comment la prends-tu en considération ?
La ferme fait partie d’un parcellaire de 3 ha d’un seul tenant, en zone humide. Depuis les projets de trames vertes et bleues, la LPO nous appuie pour planter des arbres. L’association a planté des haies, créé des mares. Nous avons mis 3 Highland Cattles sur une partie du terrain également. Depuis notre installation sur la ferme, nous avons voulu créer un cadre de vie agréable.. Sur la ferme, depuis que nous avons ces aménagements, nous observons régulièrement une faune impressionnante en diversité : lièvres, grenouilles, orvets… Parmi les oiseaux, des buses, faucons et même milans royaux, chouettes hulottes, hiboux moyens ducs, troglodytes, pies grièches écorcheuses, etc. Il a suffit de peu de choses… Planter autour des parcelles. Nous sommes devenus des embroussailleurs ! Depuis cette année, avec le plan de relance, dont Bio en Grand Est est animateur, et le projet « Agrobiodiv’Est », porté par la fédération des chasseurs, nous espérons pouvoir continuer de planter. Avec des enjeux quelques-fois plus agronomiques également : une haie brise-vent de hautes-tiges pour nous isoler d’une parcelle de maïs, une haie « à couper » pour continuer notre valorisation en biomasse et bois de chauffe, et une haie qui intègre les petits fruits comme c’est déjà le cas : nous avons des haies certifiées « AB » qui pourraient permettre de récolter des fruits et feuilles de sureaux, d’aubépine, d’églantine, certifiées. Nous intégrons également sur nos parcelles des fruitiers semés – non greffés (coings, pommes) : cela permet à la biodiversité végétale de s’exprimer pleinement.
Comment vois-tu l’avenir du conservatoire, de votre activité sur la ferme ?
L’activité du conservatoire a toujours fonctionné de fil en aiguille, et nous voulons qu’elle nous permette une retraite plaisir entre continuité du conseil et de la formation. Pour ce qui est du magasin, Dominique est découragée en ce moment par les clients – qui ne sont en fait pas si locaux et amicaux en majorité – et qui ont souvent beaucoup de questions et sont parfois agressifs par rapport à leurs attentes et tout ce qu’ils veulent savoir des méthodes de production ou avoir en toute saison. Nous cherchons une solution, quitte à fermer la boutique de la ferme.
Présentation de la ferme
« LES JARDINS DE LA MARMOTTE » :
SAU : 16 ha
Cultures : Céréales en rotation sur 6 ha, vigne AOC sur 4 ha, vigne de table sur 1,9 ha, légumes sur 0.5 ha et vergers sur 2,75 ha
Main d’œuvre : Dominique, Vincent, 2 de leurs fils – boulanger et apprenti – et des saisonniers
Débouchés : quasi tout en vente directe sur la ferme : abricots et raisins de table, fruits et légumes divers, farine de blé et de blés anciens, pains et viennoiseries
« LA PÉPINIÈRE DES BOARMIES »
SAU : 2 ares
Cultures : 600 variétés de raisins en collection, une 50aine en multiplication
Débouchés : vente de plants de vigne aux particuliers et professionnels
Autres : formations, transferts de savoirs